samedi 20 novembre 2010

La machine à remonter le temps

Mediaffiliation

Tandis que son amie a disparu en même temps qu'un illustre professeur, Jacques est obnubilé par sa voisine aux tendances exhibitionnistes...

Jacques aime à lire le journal. A chaque jour son lot d’informations moroses. La première page du jour n’était consacrée qu’à des disparitions dont celle du professeur Volkov, un éminent chercheur qui travaillait sur le voyage dans le temps et dont la photo en disait long sur son intelligence, et surtout Annie, une amie de classe a qui on ne consacrait qu’un petit encart en bas de page.
A cette époque Jacques commençait juste à habiter à C., rue Montmartre, une vieille bâtisse rénovée par ses parents, ou en passe de l'être, et dont une pièce particulièrement offrait à sa curiosité de quoi se satisfaire. Celle-ci, située entre sa chambre et celle, plus grande, de ses parents, avait dû servir à une certaine époque de salle de bain, mais était restée inusitée à la longue des absences répétées de propriétaires et occupait depuis l'emploi fort prisé de débarras. La fenêtre, de forme ogivale et d'aspect rustique quoique neuve, donnait tout entière sur le jardin enclos des voisins. Il était quasiment impossible de l'apercevoir de l’extérieur étant donné qu'un arbre lui offrait à la fois l’ombre et le secret, un arbre qui de son côté n'empêchait nullement qu’il put voir et son regard de partir en excursion d'un endroit à l'autre du jardin au demeurant fort grand. Il s'agissait d'un vrai parc, avec ce qu'il y faut de fleurs et de couleurs chatoyantes se mélangeant à celle plus abrupte de l'herbe. Au loin Jacques croyait deviner une piscine à moins qu'il ne se fut agit d'autre chose y ressemblant, un étang ou que sais-je…
Le reste de la maison de ses parents était vaste, trop même quand comme lui on n'avait toujours en mémoire la petite maison de B. et les souvenirs exigus qui l'y attachaient encore comme un boulet attelé à son prisonnier.
Tous les jours Jacques avait pris pour habitude d'étendre ses regards entre les châssis colorés d'hiver de sa fenêtre préférée et de les porter vers le jardin enclos des voisins où il ne se passait jamais rien. Ceci - il est utile de le souligner -, contre l'avis de ses parents qui l'avaient surnommé Jacques le fouineur, rapport à la curiosité maladive dont on parlait avant. Un jour pourtant au cœur d'un été qui avait mis en berne toutes les velléités de travail et fait de chaque vêtement porté un outil de torture, Jacques vit sortir enfin sa voisine. Elle devait avoir dans les 25 ans, avait de longs cheveux chatains et était vêtue d'un simple maillot noir deux pièces, tenu fort près du corps de sorte qu'il en décrivait parfaitement les formes. Jacques oublia bien vite que c'était la première fois qu’il la voyait et qu’il ne savait ni son nom, ni même à vrai dire si elle avait un mari, pour ne retenir que la magnificence de son corps à l'abondance étudiée et perverse. Parfois, quand elle se levait de son transat, elle ressemblait à cette plume que le vent soulève tant elle mettait de grâce dans l'exécution du moindre de ses gestes. Et Jacques rêvait qu’il était le vent, épousant de son corps les moindres courbes, mais aussi le soleil, et les infimes gouttes ruisselant sur sa chair attendrie par la chaleur exceptionnelle de ce mois d'août.
Les jours qui suivirent le virent scotché à sa fenêtre plus que de raison. Au plus on avançait dans l'été, au plus il faisait chaud et au plus son corps perdait de vêtements jusqu'à ce que sa peau se mélangeât à la couleur d'un soleil devenu tissu l'espace d'une saison. Jacques la voyait, ou selon le choix du vocabulaire : l'admirait, à chaque fois seule, côté charnel ou côté tendre, en train de lire ou d'autres fois brodant. Seul lui manquait de savoir son nom : un vent favorable lui apprit bientôt qu'elle se nommait Victoria. Ce que Jacques ignorait par contre c'est qu'elle avait également un soupirant ou assimilé comme tel, qui se présentât bientôt sous les traits flous d'un homme d'une cinquantaine d'année, claudicant et visiblement de faible santé. Jacques les regardait bavasser ensemble, leur voix avait l’apparence étouffée des confidences. Ils ne se turent que pour mieux se couvrir le corps de crème solaire, appliqués comme deux enfants sages que Jacques les soupçonnait de ne pas être! Ce qui se passa ensuite, ce serait à la maison de nous le dire ; si les murs ont aussi une langue - ne dit-on pas qu'ils font parler le passé -, ils ont également le goût des énigmes et savent préserver l’intimité quand elle se conjugue à tous les temps du plaisir.


Le lendemain était jour de marché. De toujours, Jacques avait horreur de ce genre d'endroit mais pour une fois il consentit à y accompagner sa mère poussé par je ne sais quelle envie primesautière de voir du monde. Celui-ci ne déparait pas des autres que j'avais connu : du monde partout, du bruit comme s'il en pleuvait, des bousculades à foison, des "Pardon" à gauche, des "Je m'excuse" à droite, et la voix des saisonniers qui me hurlait dans l'oreille "Qu'elles sont belles mes tomates!". Non, décidément Jacques n'aimait pas se mélanger à ce brouhaha comme il n'aimait pas non plus passer d'une odeur à l'autre sans y être préparé.
Ils étaient là depuis pas moins d'une heure, entre les salaisons et un marchand de fleurs, quand Jacques vis sa voisine plus éclatante que jamais. Elle était au fromager, parlant sans doute de l'absence de pluie et du beau temps qui persistait. Jacques lui espérait un décor plus approprié à sa beauté que cet étalage nauséeux et laiteux. Son mince tailleur de velours accrochait la lumière comme les promesses d'un éclat à venir plus important encore et ses jambes nues rivalisaient d'audace avec celles moins aguicheuses des jeunes filles du village. Elle s'approcha enfin d’eux et ils s’installèrent tout à coté des fleurs. La mère de Jacques et elle se connaissaient apparemment déjà très bien. Au fur et à mesure que la conversation prenait de l'ampleur, les confessions s'égrenaient comme une prière sur un chapelet de mots, et Jacques apprenait quantité de choses sur elle, tel son divorce d'avec un homme peu aimant avec qui cependant elle avait su garder un contact amical. Il se remémora la scène de la crème solaire et espéra intérieurement qu'il fut question de cet homme là. Jacques apprenait surtout qu'elle était bavarde et peu avare de paroles lorsqu'il s'agissait de deviser sur sa personne. Il buvait sa voix comme du petit lait, comme un verre de champagne rempli de ces bulles qui vous chatouillent le palais et à la fois vous enivrent. Sa mère enfin le présentât "Voici Jean, mon jeune fils de 18 ans. Mais peut-être vous êtes-vous déjà parlé?". Et pour expliquer l'agitation dans laquelle Jacques était à ce moment elle ne trouva rien de mieux que de s'entretenir de son mal être et de sa phobie des endroits publics. Victoria, mesurant sans doute l’ennui de Jacques au peu de phrase qu’il prononçait, proposa alors gentiment de le raccompagner, laissant sa mère à ses emplettes qui n'en finissaient pas et ils s’éloignèrent bien vite du tohu-bohu du marché. Sur le chemin du retour elle avoua à Jacques sans pudeur aucune qu’elle avait par le passé joué dans des films érotiques, voir plus, où elle s’était spécialisée dans des rôles qui convenait à son visage prompt à la grimace et à exprimer la peur. Il y avait, paraissait-il, quelque chose de sexuel qui accompagnait ses traits lorsqu’elle feignait l’effroi. Elle avait donc pris l’habitude de mourir dans ses films et plus souvent nue que vêtue et rêvait maintenant d’un rôle de bourreau ; Jean lui aimait l’idée du casting érotique où l’actrice passe tous les caprices du réalisateur en vue d’obtenir l’emploi : cette fille était décidément faite pour lui plaire.

Ils arrivèrent chez elle aussi vite que la circulation le permettait, et, alors que Jacques était sur le point de prendre congé de sa gentillesse – Il avait déjà sa clé en main et s'apprêtait à l'engager dans la serrure -, elle lui proposa d'entrer.
Un long corridor donnait sur le salon dont la cheminée, mélange de pierre acajou et de marbre blanc, semblait être le point central. Le reste de la maison laissait l'impression contrastée d'un mélange peu harmonieux mais demeurait toutefois élégant. Le luxe transpirait de partout au point d'en devenir écœurant. Une manie de son ex-époux, lui dit-elle, qui aimait à dépenser son argent en mille babioles aussi inutiles que le prix en était aberrant. Les murs du salon étaient tapissés de photographies ou de peintures qui représentaient tous des événements malheureux ou grandiloquents ou des personnages illustres.
Ils ne s’attardèrent pas plus longtemps au salon et arrivèrent bien vite au jardin. Là, Jacques vit que ce qu’il avait pris pour une piscine, n'était en fait qu'une énorme bâche bleue, étendue là sans doute en prévision de quelques travaux. Victoria l’invita alors à se mettre à l'aise et à s'asseoir sur un des deux transats situés à leur gauche et me demanda si cela ne me gênait pas si elle se allait se changer, à quoi Jacques répondit que non. Elle fut très vite déshabillée ; faut-il répéter que la chaleur n'avait pas décolérée depuis quinze jours. Elle lui proposa d'en faire autant cependant que dans sa voix Jacques croyait déceler d'autres désirs moins chastes. Jacques prenait un air embarrassé, comme surpris au milieu d'un mot tendre que sa bouche rêvait de dire mais que son corps se refusait à exprimer. Etait-ce déjà de l'amour ou encore seulement l'envie de deux corps que partageait un même élan. Toujours est-il que Jacques se déshabilla à son tour.
Le voisinage de leur deux nudités, son regard porté sur sa peau et puis ce corps qui était comme un arc espérant la flèche qui l'obligerait à se tendre, portèrent ses mains à l'aventure. A peine Jacques avait-il entamé les manœuvres d'approche qu'une voix se fit entendre qui ressemblait à un cri provenant de la cave, comme un appel à l’aide. Jacques laissa Victoria à son frénétisme et se précipita à la cave sans marquer d’arrêt. C’est là qu’il vit Annie attachée dans un coin, apeurée. Annie la jeune blonde qu’il n’avait pas reconnue le jour d’avant. Un homme de taille moyenne travaillait à une machine bizarre. Quant il se retourna Jacques s’aperçut à sa grande surprise que le supposé amant de Victoria n’était autre que le célèbre professeur Karpov. C’est là que le canon d’un révolver se posa sur l’arrête de son dos et une voix de lui dire « Tu n’aurais pas dû venir fouiner dans la cave ». C’était Victoria qui avait prononcé ces paroles pleines d’une haine que Jacques lui méconnaissait. Elle avait revêtu le maillot noir qui l’avait tant excité les jours auparavant. « Mais pourquoi ? Que se passe-t-il ici ? » demanda Jacques, se voyant soudainement projeté dans une tout autre histoire que celle du plaisir de ses sens auquel il avait été jusque là convié. Le professeur se lança alors dans un grand exposé : on lui avait interdit de continuer ses expériences, il avait en deux mots compris le mécanisme du temps qui est fait de cercle, parfois ces cercles offrent une passerelle. Emprunter l’une de ces passerelles peut-être très dangereux pour l’équilibre du monde, lui avait-on lancé au visage pour les moins crédules, mais lui croyait que c’était du roman que tout cela et il tendait à le prouver » Jacques regarda derrière lui et y vit une drôle de machine ; il se remémora en même tous ces animaux qui avaient disparu, sans doute des cobayes comme bientôt le serait Annie. Lisant dans ses yeux, le professeur lui dit : « Vous avez tout compris jeune homme, il me reste à vous expliquer le fonctionnement de ma machine non à remonter le temps mais à courir dans le temps, en avant ou en arrière, tout à sa guise » Jacques apprit alors que la machine avait connu jusqu’ici quelques imperfections, à chaque foi nouvelles mais qu’aujourd’hui tout devrait fonctionner normalement, pour bien dater le point de « chute » il avait choisi de s’appuyer sur des dates plus ou moins connue de catastrophe ou sur des endroits connus comme la place du Tertre à Paris. Tout cela était mémorisé dans l’ordinateur central. Jacques pensait à toutes les photos et représentations qui courraient les murs à l’étage. Il leur restait à faire l’expérience avec un humain. Annie contre son grès était cette personne, choisie au hasard par Victoria. « Et Victoria, que vient-elle faire là dedans ? » s’écria Jacques. Ce fut elle-même qui répondit plus excitante et provocatrice que jamais. «M oi mon mobile est plus bas et plus humain : l’argent tout simplement. L’argent rapporté par mes films s’altère et se réduit au fil des ans. Cette invention va me rapporter beaucoup et me permettra de produire moi-même mes propres productions ! Je vais enfin pourvoir de me donner ce rôle machiavélique qui me manque tant »

Victoria tendit son arme au professeur en lançant « Je suis désolée, tu semblais être un bon amant. Comme tu seras sans doute le premier cobaye maintenant que le sort a voulu nous en donner deux, je tiens à t’offrir ce cadeau en guise de dernière image de notre époque »
Victoria se tint face à Jacques et abaissa son maillot d’un coup de manière à découvrir son onctueux derrière. Si les choses venaient à mal se passer pour lui la dernière vision de ce monde serait le cul nu de Victoria. Quand bien même cette vision l’enchantait et son sexe s’en portait garant Jacques se mit à penser à tous ces autres culs qu’une vie plus longue me promettait de voir. Il n’avait pas été sans remarquer les tremblements incessants du professeur qui peinait à tenir droit son révolver. Alors que Victoria relevait son maillot pour couvrir à nouveau ses fesses d’un tissu de pudeur, Jacques se lança d’un coup sur le professeur lui faisant perdre son arme. Déséquilibré, le malheureux tomba sur le sol et se fracassa brutalement le crâne sur une pierre. Il demeura comme inconscient. Victoria prise de panique couru à la machine et après avoir tripoté plusieurs boutons au dessus de l’ordinateur s’y installa. Jacques se mit lui aussi à l’ordinateur et tenta en vain, tripotant les boutons au hasard d’arrêter la machine. Rien n’y fît, seuls quelques chiffres changeaient. Les lumières se firent de plus en plus vives épousant le corps pulpeux à souhait de la jeune femme. Bientôt son corps s’effaça et le calme se fit dans la pièce. Si Victoria avait réussi son départ, tout ne semblait pas être parti avec elle. En s’approchant de la machine, Jacques constata que son maillot était resté dans notre époque et ainsi que la première personne à voyager dans le temps était une femme nue. Il porta inconsciemment la culotte de son maillot qui contenait encore ses fesses il y a peu a hauteur de mon sexe tout en imaginant la tête de Victoria arrivant à poil en plein milieu de la place de la Concorde ou, que sais-je. En fait Jacques ne savait où Victoria était allée et s’il avait contrecarré quoi que ce soit dans sa fuite. Elle était partie sans laisser d’adresse, le conteur continuait à tourner, à tourner sans cesse, de plus en plus lentement jusqu’à s’arrêter en plein dans l’ère mésozoïque à moins 75 millions d’années.
Jacques avait presque oublié de délivrer Annie qui gesticulait dans tout les sens pour attirer son attention. Pour le professeur Karpov l’aventure s’arrêtait là, le choc de son cerveau sur la pierre avait été trop rugueux et la vie avait quitté cet esprit brillant mais ô combien dangereux.
…Quelque part dans un temps très lointain Victoria s’étonnait de sa nudité et bientôt plus encore d’un grognement qui lui arrivait au dessus de la tête. Quand elle porta ses traits à la rencontre du sinistre bruit, elle ne put contenir un hurlement en voyant un dinosaure à la mâchoire acerbe et encore moins son visage de partir dans une grimace jamais atteinte dans aucun de ses films.

Le monstrueux animal n’en fit qu’une bouchée. Victoria venait de réussir sa meilleure fin mais il ne se trouvait personne pour applaudir.
Ignorant tout de l’horrible destin de la jeune femme, Jacques gagnait de nouvelles aventures et non des moindres: expliquer cette formidable mais rocambolesque histoire à la police…

FIN
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